Ceci est le témoignage de Mohand Sebkhi, anonyme parmi les anonymes. « Une voix d’en bas », comme la qualifie Daho Djerbal dans sa préface, lui qui a pris la peine de recueillir et de restituer le récit de ce moudjahid, héros de l’ombre par excellence. C’est en effet un « simple » agent de liaison de la wilaya 3 qui prend ici la parole et relate son enfance dans les montagnes de Kabylie, son quotidien misérable, sa prise de conscience de la violence du système colonial, et son engagement, dès 17 ans, dans la lutte de libération nationale. Le lecteur suivra toutes ces péripéties avec passion : captivé lorsqu’il raconte sa tentative solitaire et désespérée de rattraper Amirouche, en route pour la Tunisie, afin de lui transmettre un message qui l’aurait peut-être sauvé, horrifié quand il décrit les sévices qu’il subit pendant sa détention par les Français.
Dans ce récit, Mohand Sebkhi raconte un pan de sa vie avec une intégrité qui confine parfois à l’innocence. Chaque anecdote rappelle que tous les combattants étaient d’abord des hommes : mus par des convictions, une foi et un courage hors norme, ils n’en avaient pas moins des doutes, des frayeurs (par exemple, en tant que témoin impuissant de la bleuite), et des lâchetés. L’auteur ne craint pas de rendre compte de cette complexité-là. Ce faisant, il donne à cette guerre toute son épaisseur, et rend ainsi possible l’élaboration et la transmission d’une mémoire commune. Celle qui dit aussi bien la grandeur et la petitesse, l’héroïsme et la faiblesse, la bravoure et la trahison. Un témoignage à hauteur d’homme, qui s’impose par son humilité et un désir de vérité si fort, si tendu, qu’on peut imaginer combien il en a coûté à son auteur.